Attaques contre la presse en 2008: Cameroun

La presse variée du Cameroun, l’une des plus dynamiques en Afrique, a travaillé sous de réelles pressions. Des dirigeants politiques et d’influentes personnalités ont eu recours aux menaces, aux mesures de censure et au harcèlement judiciaire afin d’intimider la presse dans son traitement des  sujets sensibles de l’actualité nationale. Les médias ont ainsi été ciblés pour leur couverture d’un projet d’amendement constitutionnel controversé permettant au président Paul Biya de briguer un nouveau mandat en 2011, des manifestations populaires contre la flambée des prix et une série d’affaires de corruption de premier plan.

Au pouvoir depuis 1982, Biya a fait passer à l’Assemblée Nationale un amendement levant la limite des mandats présidentiels. Alors que les médias animaient un débat national sur cette réforme constitutionnelle, les autorités ont pris des mesures pour faire taire les opinions dissidentes. Dès le 21 février, une escouade de policiers contraint ainsi Equinoxe Télévision, une station privée de la capitale économique Douala à cesser d’émettre. Le ministre de la Communication, Jean-Pierre Biyiti Bi Essam, qui a ordonné cette descente, a accusé la station de ne pas être en règle envers le paiement des frais de licence audiovisuelle s’élevant à 100 millions de francs CFA (227 000 dollars US). L’enquête du CPJ a démontré que cette mesure a été appliquée sélectivement : seules trois stations privées sur 12 avaient à l’époque payé ce droit, qui a été imposé par le gouvernement en 2000. Le gouvernement autorisait la plupart des autres stations à émettre sous ce que les journalistes camerounais ont qualifié de « régime de tolérance administrative. »

La même semaine, la police a également fermé la station partenaire d’Equinoxe Tv, Equinoxe Radio. Tant à travers sa télévision que sa radio, le groupe Equinoxe s’était distingué par sa couverture en pointe du débat constitutionnel, diffusant des débats politiques et reportages en direct sur les manifestations.

L’opposition populaire à l’amendement constitutionnel ajoutée au mécontentement du public face à l’augmentation du prix du carburants ont conduit à une grève nationale des transports publics pendant plusieurs jours, à partir du 25 février.

Alors que des affrontements éclataient entre les forces de sécurité et les manifestants, des journalistes comme Lilianne Nyatcha, une caméraman de Spectrum TV, se sont retrouvés coincés au milieu. Un homme en tenue militaire lui a ainsi confisqué sa caméra et son matériel d’enregistrement sous la menace de son arme alors qu’elle filmait une manifestation à Douala. Elle n’a pas récupéré ses images, même si on lui a finalement rendu sa caméra, a-t-elle rapporté au CPJ.

Un autre caméraman, Eric Golf Kouatchou de Canal 2, a vu son enregistrement détruit par les policiers après qu’il ait filmé la police anti-émeute réprimant une manifestation. Les policiers lui ont dit qu’il filmait sans autorisation. Pourtant, aucune loi camerounaise n’exige cela. Kouatchou a dit au CPJ que les policiers l’ont arrêté avec plusieurs manifestants malgré le port de sa carte de presse. Le journaliste et d’autres ont été contraints à nettoyer des amas de cendre sur plusieurs kilomètres de route.

Ce jour-là, après des affrontements meurtriers entre manifestants et forces de sécurité, Biya est apparu à la télévision pour appeler au calme, tout en faisant porter la responsabilité de la violence aux « apprentis sorciers », terme péjoratif désignant les militants de l’opposition, selon la presse internationale.

Le lendemain, dans une émission interactive de Magic FM, une radio populaire de la capitale Yaoundé, plusieurs auditeurs anonymes ont critiqué le discours présidentiel. Peu de temps après, des soldats armés ont encerclé Magic FM, confisqué son équipement et accusé son personnel de « diffuser de façon irresponsable ». Bien qu’aucun ordre officiel n’ait jamais été produit, cette descente policière a de facto fermé cette station qui est associée à la Voix de l’Amérique, média financé par le gouvernement américain, jusqu’en juillet.

D’autres journalistes, dont Yvonne Cathy Nken de Canal 2 et Polycarpe Essomba, correspondant de Radio France Internationale, ont pris la clandestinité après avoir reçu des menaces téléphoniques à la suite de leur couverture des troubles politiques, selon l’enquête du CPJ. Jean-Marc Soboth, secrétaire national du Syndicat National des Journalistes du Cameroun, a lui aussi déclaré avoir reçu des menaces pour avoir dénoncé les violations de la liberté de la presse.

L’ensemble de la société camerounaise reste sous l’emprise d’une corruption rampante qui atteint  la gestion gouvernementale, l’application de la loi et les affaires. Les autorités ont poursuivi de nombreux responsables depuis qu’elles ont lancé une campagne anti-corruption appelée Opération Epervier en février 2006. Malgré ces efforts, le Cameroun demeure parmi les pires pays de la planète – classé 141 sur 180 – en matière de corruption publique, selon un rapport publié en septembre par l’organisation non gouvernementale Transparency International.

Les enquêtes des médias sur des affaires de corruption très en vue se sont confrontées à la résistance de l’Etat. Le ministre de la Communication Essam a accusé des médias, sans les nommer, de « manipuler l’opinion publique » sur ces affaires. Juges et procureurs, eux, ont cherché à censurer la couverture de la presse.

En juin, par exemple, le procureur général de Yaoundé, Jean-Pierre Mvondo Evezo’o, a menacé de poursuivre tout journaliste publiant des détails sur des enquêtes en cours sur la corruption. Selon lui, les journalistes fautifs seraient passibles d’une peine de trois ans de prison ferme et d’une amende de 5 millions de francs CFA (10 000 dollars US).

Cet avertissement a faisait suite à une série de révélations dans la presse sur le scandale de « l’albatros » à propos de l’achat d’un jet présidentiel Boeing 767 défectueux qui a failli s’écraser lors de son vol d’inauguration en 2004. Dans son édition du 26 mai, le quotidien phare Le Messager a rapporté les déclarations de plus d’une dizaine de responsables entendus par la police dans cette affaire. Cet article a conduit la police judicière de Yaoundé à convoquer les journalistes Marie-Noëlle Guichi et Jean-François Channon pour interrogatoire. Tous deux ont été interrogés sur leurs sources avant d’être libérés sans être poursuivis.

Le 1 er  juin, la police judicière de Douala convoquait trois autres journalistes: Thierry Ngogang, rédacteur en chef de Spectrum TV, Ananie Rabier Bindzi de Canal 2 et le journaliste freelance Alex Gustave Azebazé à la suite d’une émission de Spectrum débattant de l’affaire du jet présidentiel.

D’autres journalistes ont été harcelés alors qu’ils menaient leurs propres enquêtes sur des cas présumés de corruption. En février, la police de Zoétélé, une ville au sud du pays, a arrêté Jean-Bosco Talla et Hervé Kemete alors qu’ils enquêtaient sur les biens fonciers de hauts responsables. Ces personnes sont respectivement rédacteur en chef et reporter du Front, un bihebdomadaire basé à Douala. Ils ont été détenus pendant cinq jours avant d’être libérés. Le ministre de la Défense Rémy Ze Meka et l’ancien ministre des Finances Polycarpe Abah Abah ont déposé une plainte contre eux les accusant d’espionnage et de tentative d’effraction. Pourtant, aucune inculpation formelle n’a été enregistrée. Un mois plus tard, Abah Abah était lui-même mis en prison pour des détournements de fonds présumés.

Des journalistes et responsables de la rédaction de l’hebdomadaire Gestion & Perspectives ont quant à eux déclaré avoir reçu des menaces téléphoniques après avoir publié un article relatant des allégations de fraude foncière, a rapporté au CPJ le rédacteur en chef, Nestor Etoga. Ils ont été soumis à des interrogatoires de la police en janvier.

Les interrogatoires policiers, ainsi que les menaces et les poursuites pour diffamation étaient aussi nombreuse pour les médias indépendants dans la province anglophone du nord-ouest du Cameroun, selon l’enquête du CPJ. En juin, la police de la ville de Kumba, au nord de Douala, a interrogé Francis Ndengu, rédacteur en chef du bimensuel Eden, au sujet d’un article alléguant de la mauvaise gestion du maire local. Ndengu n’a pas été inculpé mais demeurait officiellement sous enquête en fin d’année. Le maire, Prince Ekale Mukete, a contesté les allégations et a menacé plusieurs autres journalistes d’action en justice.

Tandis que les journaux et médias audiovisuels camerounais se concentraient sur les troubles politiques et la corruption, la vigoureuse presse tabloïd portait son attention sur d’autres sujets. Ce secteur de la presse, qui comprend une multitude de titres à parution irrégulière, a suivi les personnalités influentes du pays avec souvent peu de retenue. En conséquence, certaines publications ont fait face à de sérieuses poursuites judiciaires pour diffamation.

En août, Grégoire Owona, le ministre délégué à la présidence de la République chargé des relations avec les Assemblées, a eu gain de cause dans une poursuite pour diffamation contre l’hebdomadaire Nouvelle Afrique. L’affaire découlait de la publication par le journal en 2006 d’une liste de présumés « homosexuels cachés » dont Owona. L’homosexualité est illégale au Cameroun. Un magistrat de Yaoundé a condamné le rédacteur en chef du journal, Biloa Ayissi, à six mois de prison et à une amende d’un million de francs CFA (2 000 dollars US). Le journal a cessé sa publication après le jugement bien que Ayissi soit resté libre dans l’attente de la procédure d’appel.

En septembre, un éditorial critiquant la ministre de la Recherche scientifique Madeleine Tchuinté a conduit à l’arrestation de Michel Mombio, rédacteur en chef du bimensuel L’Ouest Républicain, à Bafoussam au nord-est de Douala. Mombio a été inculpé de tentative de fraude, chantage et insulte à la suite d’un éditorial très critique sur le passé de Tchuinté.

La mise en liberté sous caution lui a été refusée. Le même mois, Lewis Medjo, rédacteur en chef de l’hebdomadaire La Détente Libre, à Douala, a été inculpé pour publication de fausses nouvelles à cause d’une rubrique alléguant une brouille entre Biya et le président de la Cour suprême, Alexis Dipanda Mouelle, selon des journalistes locaux. Lui aussi n’a pas bénéficié de la liberté sous caution.

Les joueurs de l’équipe nationale de football, les Lions indomptables, ont aussi eu un conflit avec les journalistes. Le 30 mai, après que des dizaines de reporters aient quitté une conférence de presse d’avant match en protestation contre le comportement des joueurs, le buteur vedette Samuel Eto’o a donné un coup de tête au reporter Philippe Boney de Radio Tiéméni Siantou. Plusieurs témoins oculaires ont dit au CPJ que les gardes du corps de Eto’o ont rossé Boney, tandis que le gardien de but et entraîneur Thomas Nkono confisquait les téléphones portables des reporters essayant d’enregistrer le chaos. Boney a eu un bras cassé et un congé maladie de six semaines. Eto’o a d’abord affirmé que Boney l’avait insulté, mais il a plus tard présenté ses excuses à la télévision.

Les pressions financières ont aggravé les difficultés de la presse. Les journalistes locaux disent que la presse est touchée par des pratiques professionnelles médiocres ou des actes contraires à la déontologie, comme l’acceptation de pots-de-vin. Certains journalistes ont fait campagne pour de meilleurs salaires, mais les divers médias nationaux – affaiblis par des divisions ethniques, politiques et linguistiques – ont peiné à promouvoir des progrès professionnels.



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