Attaques contre la presse en 2008: Republique Democratique du Congo

 Deux ans après sa transition vers la démocratie lors d’élections historiques soutenues par l’Onu, la République démocratique du Congo reste l’un des pays les plus dangereux pour les journalistes en Afrique. Pour la quatrième année consécutive, un journaliste y a été assassiné dans des circonstances non éclaircies, cette fois-ci dans la partie est du pays, précaire et déchirée par les conflits. Une rébellion de membres de l’ethnie tutsie, conduite par le général rebelle congolais Laurent Nkunda, a provoqué de durs combats en septembre, menant au déplacement de quelque 250 000 civils, selon les estimations de l’Onu. Les journalistes opérant dans la zone de guerre de la province orientale du Nord-Kivu ont été pris sous les feux croisés de l’armée congolaise, des milices progouvernementales et des combattants du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), de Nkunda.

Nkunda a affirmé qu’il est intervenu pour protéger la minorité tutsie de son pays contre les milices hutues. Il a accusé le gouvernement de ne pas assurer la protection de cette minorité, et dans certains cas de collaborer avec les milices hutues. La tension entre Tutsis et Hutus est profonde depuis le génocide au Rwanda voisin en 1994. A cette situation volatile s’ajoute une course au contrôle des richesses en minerais, notamment la colombite-tantalite ou le coltan. Le tantale, un métal aux qualités uniques et qui est utilisé dans les téléphones portables et les ordinateurs, est extrait du coltan. Le 4 novembre, une attaque rebelle sur la ville de Kiwanja, à 70 kilomètres au nord de la ville frontalière de Goma, capitale du Nord-Kivu, a contraint la radio communautaire Ushirika de suspendre ses émissions et de fermer. Le personnel a fui au cours de combats erratiques. Les rebelles ont pillé la station, seul média à émettre à Kiwanja. La radio avait diffusé des communiqués de presse gouvernementaux et des interviews avec les autorités à propos de la situation sécuritaire, selon le directeur de la station, Jean-Baptiste Kambale.

Ce même jour, alors qu’ils conduisaient de Kiwanja à Goma, le journaliste belge Thomas Scheen, son interprète Charles Ntiricya et son chauffeur Roger Bangue ont été enlevés par des miliciens progouvernementaux Maï-Maï. Scheen, correspondant du quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, avait couvert la situation à Kiwanja, a raconté plus tard Ntiricya au CPJ. Les miliciens ont saisi leurs biens, puis les ont remis à un commandant milicien, qui a demandé 800 dollars pour les relâcher. Incapables de payer cette somme, ils ont dû marcher 40 kilomètres à pied pour rejoindre un haut responsable politique Maï-Maï, qui les a remis à l’armée congolaise. Après trois jours, ils ont été récupérés par des soldats de la paix de l’Onu.

Au moins quatre autres médias audiovisuels au Nord-Kivu ont fermé par précaution au cours des combats début novembre, craignant le pillage, selon Kambale, qui dirige aussi le Réseau des radios et télévisions de l’Est du Congo. Dorika FM, une station à Nyamilima, près de la réserve des Virunga où se trouve l’espèce menacée des gorilles des montagnes, a continué à diffuser des annonces de service public sur des personnes disparues, selon Kambale.

L’instabilité née de la situation dans le Nord-Kivu a mis en danger la sécurité des journalistes dans les provinces limitrophes. En octobre, le reporter Jean-Paul Basila, du réseau de radios Okapi, soutenu par l’Onu, dans la région insubordonnée de l’Ituri, a pris la clandestinité après avoir reçu des menaces. Basila a déclaré que les menaces venaient d’officiers de l’armée congolaise à cause d’une couverture jugée défavorable aux forces gouvernementales au cours de combats contre la milice locale du Front populaire pour la justice au Congo.

Le 21 novembre, des hommes armés non identifiés ont tué le journaliste de Radio Okapi, Didace Namujimbo, près de son domicile dans la capitale du Sud Kivu, Bukavu. Le procureur de Bukavu, Jacques Melimeli, a dit à Radio Okapi que le journaliste avait reçu une balle dans le cou. En décembre, Melimeli a annoncé que l’affaire était renvoyée devant une cour militaire car l’arme du crime était une mitraillette AK-47. Fin 2008, aucune arrestation n’avait été effectuée. Le frère du journaliste, Déo Namujimbo, qui est aussi vice-président du Syndicat de la presse nationale congolaise, a déclaré au CPJ que seul le téléphone portable de Namujimbo avait disparu. Les 50 dollars se trouvant dans son portefeuille y étaient toujours. Les voisins ont dit avoir entendu un échange animé entre le journaliste et les hommes armés juste avant d’entendre le coup de feu, selon la presse. Namujimbo n’avait fait part d’aucune menace, selon les reporters locaux.

Le chef du bureau de Radio Okapi à Bukavu, Forien Barbey, a déclaré que le meurtre soulignait le caractère excessivement dangereux de la situation pour les journalistes. Les véhicules de l’Onu escortent régulièrement les journalistes de Radio Okapi pour aller ou revenir du travail, a-t-il ajouté, mais ils demeurent quand même des cibles. Barbey a dit que tous les membres de la station devaient désormais systématiquement faire part de toute menace.

Namujimbo est le second journaliste de Radio Okapi à être assassiné à Bukavu en un peu plus d’un an. Serge Maheshe, rédacteur en chef adjoint, avait été tué en juin 2007, à l’âge de 31 ans.

En mai, un tribunal militaire de Bukavu a confirmé la peine de mort prononcée en août 2007 contre trois hommes accusés du meurtre de Maheshe mais, il a rejeté les condamnations de deux autres amis du journaliste. Ce nouveau procès, commencé en février, a été critiqué par la mission de l’Onu en RDC pour « des violations nombreuses et graves du droit fondamental au procès équitable », comme la présomption d’innocence et une gestion correcte des indices de crime. Le tribunal n’a pas établi de motif clair du crime.

La justice a aussi fléchi dans l’affaire du meurtre du photojournaliste freelance Patrick Kikuku Wilungula, assassiné en août 2007 à Goma. Les tueurs avaient aussi pris la caméra de Wilungula. Plus d’un an plus tard, aucune arrestation n’a eu lieu. En novembre, Jean-Blaise Bwamulundu, un procureur militaire à Goma, a déclaré au CPJ que des enquêtes civiles et militaires distinctes étaient en cours.

Dans la capitale Kinshasa, les forces de sécurité ont cherché à faire taire les médias audiovisuels indépendants ayant diffusé des opinions critiques à l’encontre du président Joseph Kabila et de son gouvernement. Des journalistes sont souvent détenus et interrogés à cause de leurs décisions éditoriales, selon des informations recueillies par le CPJ.

En septembre, des techniques d’intimidation ont été utilisées lorsque le média privé Global Télévision a diffusé une conférence de presse où l’homme politique d’opposition Ne Muanda Nsemi a accusé des responsables du gouvernement d’être responsable de la guerre dans l’Est. Quelques heures après l’émission, des officiers de police en uniforme et des agents en civil armés ont contraint la station à suspendre sa diffusion et ont saisi le matériel de transmission, selon l’organisation de défense de la liberté de la presse Journaliste en Danger (JED). Les agents de la sécurité ont arrêté le technicien Daudet Lukombo, qu’un magistrat a plus tard inculpé pour « incitation à la rébellion », une charge n’existant pas dans le code pénal congolais, selon des experts juridiques. L’accusation a été rejetée pourtant Lukombo a passé 16 jours en prison. La station a repris ses émissions après une semaine.

Le 19 novembre, des agents de l’Agence nationale congolaise de renseignements (ANR) ont fait une descente musclée dans les locaux de Raga Télévision alors que cette station diffusait une interview avec le député d’opposition Roger Lumbala. Dans cet entretien, le politicien critiquait le limogeage par Kabila du chef de l’armée et l’ouverture d’un bureau du Président au parlement. Les agents ont confisqué la cassette de l’entretien et détenu les responsables de la rédaction Mbuyi Bwebwe, Rosette Mamba, le reporter Robert Muïla et deux techniciens. Les cinq membres du personnel ont été relâchés deux jours plus tard cependant, le rédacteur en chef Jules Mwamba a pris la clandestinité par crainte d’une arrestation, selon les journalistes locaux.

La santé de Kabila a aussi été un autre sujet sensible pour les médias. Le 7 mars, des agents de l’ANR en civil ont interpellé le rédacteur en chef de L’interprète, Nsimba Ponte, après que son bihebdomadaire kinois a publié plusieurs chroniques critiquant le Président et évoquant une blessure par balle dont il serait censé souffrir (information publiquement non confirmée). Trois semaines plus tard, l’ANR a arrêté Davin Tondo, l’adjoint de Ponte. Les deux hommes ont été maintenus au secret sans être inculpés pendant près de trois mois. Ils n’ont été présentés à un tribunal que le 6 juin, où ils ont été inculpés de diffusion de fausses nouvelles, menace à la sécurité de l’Etat et offense au chef de l’Etat, a rapporté JED.

Parlant au CPJ par téléphone depuis le Centre pénal et de rééducation de Kinshasa, en juin, Ponte a dit qu’il était détenu dans une cellule avec une vingtaine d’autres prisonniers. Dans une lettre à Symphorien Mutombo Bakafua Nsenda, alors ministre congolais de la Justice et des droits de l’homme, le CPJ a appelé à la libération des deux hommes. Cette lettre faisait suite à des informations sur la santé précaire de Ponte et après que le procureur avait déclaré que ces détentions préventives de plusieurs mois étaient illégales. Pourtant, une libération sous caution leur a été refusée. En novembre, selon JED, un magistrat de Kinshasa a condamné Ponte à dix mois de prison et Tondo à neuf mois. Les deux hommes étaient toujours en prison quand, au 1er décembre, le CPJ a fait son recensement annuel des journalistes emprisonnés pour leur travail.

Cette affaire illustre la tendance en cours aux arrestations et détentions extrajudiciaires dans lesquelles des journalistes ont été incarcérés au-delà de ce que la Constitution du Congo autorise. Un rapport sur les droits de l’homme publié par la mission de l’Onu de maintien de la paix en RDC a conclu que les autorités violaient systématiquement la limite constitutionnelle de 48 heures de détention sans charge.

Des journalistes ont été agressés dans l’exercice de leur travail et les agresseurs n’ont régulièrement pas été punis. En novembre, des membres du Parti lumumbiste unifié ont agressé et retenu en otage cinq cameramen à la suite d’une bagarre au siège du parti, a rapporté JED.

Selon des journalistes locaux, les membres du parti ont confisqué les cassettes et cassé le matériel de Jean-Claude Bode de Tropicana TV, Mutombo Kabeya d’Africa TV, Olivier Mbuilu de Congoweb TV, José Ngalamulume de Global TV et Yves Songila de Horizon 33 TV.

En avril, des assistants de Pedro Gomez Ngoma, consul général de l’Angola dans la ville méridionale de Lumumbashi, ont agressé le directeur de l’information de Radiotélévision Mwangaza Jean-Pierre Ndolo et son reporter Pascal Luboya. La directrice de la station, Rose Lukano, a dit au CPJ que l’agression était liée à un reportage exclusif réalisé en 2006 sur l’inscription illégal d’électeurs angolais au scrutin historique en RDC. Ndolo a déposé plainte pour agression et coups et blessures après avoir passé deux jours à l’hôpital.

Les autorités ont aussi appliqué des mesures de censure contre certains médias. Le 9 septembre, le ministre de la Communication, Emile Bongeli, a interdit trois radios privées et cinq télévisions, alléguant de violations de la réglementation sur le paiement des taxes, selon un décret obtenu par le CPJ. Les stations ont fait appel mais, fin 2008, la plupart ne diffusaient pas.

En septembre également, au cours d’une querelle juridique sur l’attribution des fréquences, Bongeli a ordonné à la police de confisquer le matériel de diffusion de la station kinoise populaire Molière Télévision. Bongeli a attribué la fréquence de cette station à TVS1, une chaîne détenue par le Premier ministre Adolphe Muzito et a refusé de se soumettre à une décision de justice annulant son ordre, selon des journalistes locaux. Molière n’a pas repris sa diffusion depuis le raid matinal du 26 septembre.

La diffamation demeure une infraction pénale même si une réforme est évoquée. En février, un tribunal de Mwene-Ditu, ville située au centre du pays, a condamné Justin Kabasele, de Radio-Télévision Kasaï Horizons, à une année de prison et une amende de 750 000 francs CFA (1 300 dollars US). Ce jugement est lié à une émission, diffusée en 2007, critiquant un employé municipal. Kabasele est resté libre en attendant l’appel. Dans ce qui est une rare victoire pour la presse, un tribunal de Kinshasa a rejeté la plainte pour diffamation déposée par le gouverneur de la province de l’Equateur, au nord-ouest du pays, contre le rédacteur en chef Achille Kadima Mulamba. Une rubrique de l’hebdomadaire de Mulamba Africa News avait évoqué les plans présumés du gouverneur José Makila de succéder à Jean-Pierre Bemba au poste de président du parti d’opposition Mouvement pour la libération du Congo. Bemba, un ancien chef rebelle, a été arrêté en mai en Belgique pour crimes de guerre. Il est en attente de son procès.


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