Le danger lié à la couverture des violentes manifestations de rue est devenue un risque important pour les journalistes, aux côtés des combats et des assassinats ciblés. L’agression sexuelle, le crime organisé, et la vulnérabilité numérique sont également des dangers. L’industrie de la sécurité a du mal à suivre. Par Frank Smyth

 

Tandis que le domaine de la sécurité murit,
les risques se multiplient

Par Frank Smyth

Il y a moins de 20 ans, le domaine de la sécurité des journalistes n’existait pas. « Il n’y avait aucune sécurité, aucun gilet pare balles, aucune formation », a déclaré Heather Allan, responsable de la rédaction d’Al-Jazeera en anglais et ancien chef du bureau de NBC News.

Un journaliste se tapit derrière un bloc de ciment lors d'affrontements entre forces israéliennes et manifestants palestiniens en Cisjordanie. (Reuters / Mohamad Torokman)

Dans les années 1990, la mort de journalistes dans les Balkans et en Afrique a mis en évidence «la nécessité d’une approche systématique pour la sécurité physique des journalistes », a déclaré Bruce Shapiro, directeur exécutif du Centre Dart pour le journalisme et les traumatismes basé à l’université de Columbia. Le choc des attentats du 11 Septembre et des guerres en Afghanistan et en Irak a fait du domaine da la sécurité des journalistes, au moins pour un moment, une industrie en croissance.

Aujourd’hui, la nécessité de préparer les journalistes à la sécurité n’a jamais semblé aussi urgente. Les menaces traditionnelles auxquelles font face les journalistes persistent à l’heure même où de nouveaux dangers sont soit émergents ou deviennent apparents. L’agression sexuelle, les troubles civils, le crime organisé, la sécurité numérique et les traumatismes sont autant de défis reconnus à la liberté de la presse et à la sécurité. Par ailleurs, les principales organisations de presse sont entrain de modifier des cours de formation militaire ou développent leurs propres pratiques en matière de sécurité et des programmes d’études. Pourtant, l’argent disponible pour la formation en sécurité est limité et les employeurs peinent à adapter leur préparation aux innombrables dangers. «Nous avons dû rapidement modifier notre vision de la sécurité », a déclaré David Verdi, vice-président en charge de la collecte de nouvelles dans le monde entier pour NBC News.

« Nous avons besoin d’une approche plus nuancée», a déclaré Judith Matloff, ancienne correspondante à l’étranger et formateur indépendant en sécurité des journalistes qui est devenue récemment directeur de la branche Nord américaine de l’organisation non lucrative basée à Londres, International News Safety Institute. « Quelle est la meilleure formation pour une situation donnée ? Nous avons besoin d’évaluer les besoins, plutôt que d’utiliser l’approche selon laquelle il existe une solution pour tout », a-t-elle dit.


Pendant plus d’une décennie, de nombreux journalistes ont suivi HEFAT, une formation en secourisme d’urgence dans un environnement hostile, des cours dispensés en grande partie par les Marines royales britanniques et d’autres forces d’élite britanniques. Pourtant, la couverture de combats n’est pas historiquement la situation la plus dangereuse pour les journalistes, mais les reportages locaux sur des sujets sensibles comme la criminalité, la politique et la corruption. Depuis 1992, près de trois journalistes sur quatre tués dans le monde ont été assassinés principalement au sein de leurs propres pays, selon des recherches du CPJ. Un journaliste sur cinq a été tué sur les théâtres de combat ou dans des situations connexes, les autres ayant été tués pendant qu’ils couvraient des manifestations de rue violentes ou autres missions non militaires.

Those proportions have changed significantly over the past two years, during which growing numbers of journalists have been killed covering violent street protests. By 2011, about 40 percent of media fatalities came during coverage of street demonstrations, many during the series of popular uprisings that swept the Arab world. And that shift in the dangers facing journalists has raised a new set of challenges for the profession.

Ces proportions ont changé considérablement pendant les deux dernières années, au cours desquelles un nombre croissant de journalistes a té tué pendant qu’ils couvraient les manifestations de rue violentes. En 2011, environ 40 pour cent des décès de journalistes ont résulté de la couverture des manifestations de rue, et beaucoup d’entre eux se sont produits au cours de la série de soulèvements populaires qui ont balayé le monde arabe. Et ce changement dans les dangers auxquels sont confrontés les journalistes ont soulevé une nouvelle série de défis pour la profession.

La communauté internationale dépense environ 250 millions de dollars par an pour le développement des médias du monde entier, a déclaré Rodney Pinder, directeur exécutif de l’International News Safety Institute et ancien dirigeant de Reuters Television News. «Ils sont entrain de les former à être des journalistes professionnels et à risquer leur vie…Mais ils ne les forment pas à se protéger », a déclaré M. Pinder.

Les correspondants d’Al-Jazzera ont été sur les lignes de front pour récolter des informations brulantes dans des pays comme la Tunisie, tandis que les journalistes locaux ont fourni des images et d’autres informations sur le réseau basé à Doha à partir de pays comme la Syrie. «Nous sommes inquiets au sujet des blessures et par rapport à l’évacuation des gens », a déclaré M. Allan. L’enlèvement est une autre préoccupation majeure. Chacun de ses correspondants étrangers doit effectuer des évaluations de risques régulières. Les exigences de préparation sont encore plus strictes pour les journalistes d’Al-Jazzera couvrant le Mexique, une nation en proie à la violence omniprésente. « Nous devons veiller à [l’évaluation] avant qu’ils ne quittent. Voir où ils vont? Qui ils vont rencontrer? Comment ils vont se rendre sur place? Où ils vont dormir la nuit? » a- t -elle affirmé. « Les gens y disparaissent. Les journalistes sont des cibles faciles », a-t-elle ajouté.

Peu d’attaques mettent plus fortement en évidence la nécessité d’une nouvelle approche que l’agression sexuelle dont a été victime la correspondante de CBS News Logan Lara sur la place égyptienne de Tahrir en février 2011. Cette affaire « a convaincu la maison que nous devons préparer nos journalistes non seulement pour le champ de bataille, mais également pour l’ensemble des diverses nouvelles menaces auxquelles ils font face lorsqu’ils couvrent des événements », a déclaré Larry Rubenstein, un ancien photojournaliste qui est récemment devenu responsable éditorial chargé de la sécurité et de la logistique à Thomson Reuters.

En effet, l’ancienne correspondante du magazine Time, Vivienne Walt, a récemment raconté au Canadian Broadcasting Corporation son expérience par rapport à sa participation à un cours de formation HEFAT : « On nous a appris toutes sortes de choses, panser des plaies, reconnaître les différents types d’artillerie, savoir quoi faire dans une situation de kidnapping », a t -elle indiqué. «Ce qui était vraiment frappant c’est qu’il n’y avait jamais eu de discussion sur les problèmes particuliers ayant trait aux femmes », a-t-elle ajouté.

Les groupes du crime organisé, les fonctionnaires corrompus, et les organisations terroristes posent un autre type de menace. « Il ya une différence entre la préparation des correspondants de guerre et la formation des journalistes locaux couvrant la violence urbaine ou le crime organisé », a déclaré Alves Rosental, ancien rédacteur en chef du Jornal do Brasil et directeur du Knight Center for Americas à l’Université du Texas à Austin.

Les journalistes sont régulièrement pris pour cible pour être assassinés dans des pays comme l’Irak, le Mexique, les Philippines, la Russie, le Pakistan et la Somalie. Dans le monde, les meurtriers s’en tirent dans près de neuf cas sur 10. Les victimes sont majoritairement des journalistes locaux, coupés de leur propre communauté. « Les journalistes locaux dans les démocraties émergentes vivent au milieu des conflits civils, rentrent chez eux et donc leurs familles sont également exposées », a déclaré Shapiro du Centre Dart. « Les Défenseurs de la liberté de la presse doivent être regardant sur les moyens de faire plus pour les journalistes locaux », a-t-il ajouté.

Au Pérou, l’organisation de presse à but non lucratif IDL-Reporteros développe son propre programme d’études sur la sécurité. Les journalistes prennent des cours deux fois par semaine pendant huit semaines pour apprendre le Krav Maga, le système d’auto-défense conçu pour le combat rapproché adopté par l’armée israélienne. « Ceci est obligatoire », a déclaré Gustavo Gorriti, rédacteur en chef de l’IDL-Reporteros et un des journalistes d’investigation.les plus respectés d’Amérique Latine (M. Gorriti lui même a été enlevé pendant deux jours en 1992 par des agents de renseignement péruviens.). M. Gorriti a affirmé que les journalistes sont également formés pour savoir comment repérer une filature.

Un autre groupe de journalisme d’investigation à but non lucratif, le Projet d’information sur la corruption et le crime organisé basé dans les Balkans a ses propres pratiques de formation en sécurité. « Nous pensons que l’indicateur le plus dangereux est que quelqu’un suit votre journaliste », a déclaré Drew Sullivan, conseiller du rédacteur. Les protocoles de sécurité du groupe comprennent la détection de la surveillance et les manières d’aborder et d’interroger des groupes potentiellement violents et les personnalités. «Vous devez prendre certaines mesures de contre-surveillance. Les nôtres ne sont pas très sophistiquées, mais vous devez commencer quelque part », a-t-il dit.

L’interception électronique est une autre menace. Les agences gouvernementales ont espionné des journalistes dans des pays tels que la Chine, la Colombie, l’Iran, l’Erythrée. Dans ces pays et d’autres, les correspondants étrangers, les journalistes locaux, et les blogueurs font face à la perspective de voir leurs courriels lus, leurs comptes Facebook et Twitter surveillés, leurs communications avec les sources, les rédacteurs, et d’autres personnes interceptées, des données sur leurs disques durs ou leurs clés USB volées ou copiées, et leurs mouvements suivis, peut-être au moyen de téléphones cellulaires ou d’autres appareils. Les associations de malfaiteurs possèdent souvent les mêmes capacités. La suppression de ces informations laisse rarement une trace.


Il y a encore un grand besoin de formation sur la sensibilisation au combat et les premiers soins d’urgence. Les anciens photojournalistes Chris Hondros et Tim Hetherington ont été tués dans un attentat en avril à Misurata, en Libye. Les collègues de M. Hetherington ont affirmé qu’il a saigné à mort d’une blessure ouverte à l’artère fémorale, ce qui est peut être vérifié par une vidéo de son corps sur une civière d’hôpital montrant une blessure sanglante à la cuisse droite intérieure.

Plusieurs collègues ont dit au CPJ qu’ils se demandent si M. Hetherington aurait pu être sauvé. Un intervenant formé pourrait en théorie atteindre une plaie ouverte du fémur pour appliquer une pression au-dessus de la fragmentation de l’artère pour arrêter le saignement. Mais ce serait déjà difficile dans le meilleur des cas, et encore moins à l’arrière d’une camionnette roulant à toute vitesse et transportant trois journalistes blessés. Un garrot serait une autre option, avec comme probable conséquence la perte d’une jambe. Seuls quelques journalistes portent des tourniquets et encore peu d’entre eux sont formés pour savoir comment les utiliser.

La crise de 2011 et les fuites de radiation d’une centrale nucléaire à Fukushima, au Japon, ont soulevé une autre série d’éventualités que les experts ont à peine abordées. Les entreprises leaders telles que Centurion Risk Assessment Services ont fourni une formation sur la protection contre la guerre biologique et chimique, mais pas sur les catastrophes radiologiques. L’une des principales organisations à but non lucratif, International News Safety Institute, fournit la liste des fournisseurs de produits chimiques, biologiques, radiologiques, nucléaires et d’équipements de protection.

La gestion du stress et des traumatismes est un domaine dans lequel de nombreuses organisations internationales de presse ont fourni un meilleur soutien pour les journalistes ces dernières années. Il y a des années, M. Allan d’Al-Jazzera a déclaré : « Je pense que chaque journaliste devait en souffrir en silence ». M. Allan, journaliste de 30 ans, a souligné que les attitudes envers les traumatismes sont différentes aujourd’hui. « Il y a des signes, et vous pouvez aider les gens», a-t-elle indiqué.

«Nous recherchons des leaders dans le domaine de la traumatologie », a déclaré Santiago Lyon, un ancien photojournaliste et directeur de la photographie à l’Associated Press. M. Verdi de NBC News a affirmé qu’il s’appuie maintenant sur des expert(e)s à la fois en conseil et dans le domaine de l’application des lois qui sont expérimenté(e)s dans le traitement des traumatismes ainsi que du viol dans le cadre de la formation en sécurité de NBC.

«La sécurité sous toutes ses formes est tout simplement une partie de la fonction de base des entreprises qui mettent les journalistes sur le terrain », a déclaré M. Verdi. « Ce n’est plus discrétionnaire. Il ne s’agit pas d’une fonction auxiliaire ou accessoire. Etre journaliste est une fonction essentielle. Cela doit être prise en compte dans la manière de couvrir les différentes régions du monde », a-t-il dit.

Frank Smyth est conseiller principal du CPJ pour la sécurité des journalistes. Il a effectué des reportages sur les conflits armés, le crime organisé, et les droits de l’homme au Salvador, au Guatemala, en Colombie, au Rwanda, en Erythrée, en Ethiopie, au Soudan et en Irak. M. Smyth est aussi fondateur et directeur exécutif de Global Journalist Security, une firme qui offre des services de consultation et de formation.


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