Les journaux prospèrent dans certaines parties de l’Afrique, mais le pouvoir des annonceurs signifie qu’ils peuvent souvent tranquillement contrôler ce qui est publié. Par Tom Rhodes

Les Kenyans lisent la couverture des élections dans le bidonville de Mathare à Nairobi, la capitale, le 9 Mars 2013. Une des raisons que les recettes publicitaires l'emportent sur les ventes de journaux en Afrique de l'Est est que plusieurs lecteurs se partagent un même exemplaire pour économiser de l'argent. (Reuters / Goran Tomasevic)

 

Publicité et censure de la presse en Afrique de l’Est

Par Tom Rhodes

En Afrique de l’Est, il y a une prolifération de journaux –certains faisant leur chou gras dans la publicité, bénéficiant d’un fort tirage et d’une faible concurrence– mais la préoccupation principale est que toute cette publicité fait également la promotion de l’autocensure pouvant corrompre la couverture médiatique.

Les Kenyans lisent la couverture des élections dans le bidonville de Mathare à Nairobi, la capitale, le 9 Mars 2013. Une des raisons que les recettes publicitaires l'emportent sur les ventes de journaux en Afrique de l'Est est que plusieurs lecteurs se partagent un même exemplaire pour économiser de l'argent. (Reuters / Goran Tomasevic)
Les Kenyans lisent la couverture des élections dans le bidonville de Mathare à Nairobi, la capitale, le 9 Mars 2013. Une des raisons que les recettes publicitaires l’emportent sur les ventes de journaux en Afrique de l’Est est que plusieurs lecteurs se partagent un même exemplaire pour économiser de l’argent. (Reuters / Goran Tomasevic)

Alors qu’ailleurs dans le monde on assiste à un déclin de journaux consécutif à la réduction des revenus de la publicité et la concurrence en ligne, ceux-ci continuent de jouer un rôle prépondérant dans la majeure partie de l’Afrique de l’Est, où une classe moyenne de plus en plus importante et l’accès Internet trop couteux ont permis à la presse écrite de survivre et même de prospérer.

L’exemple le plus remarquable de cette réussite est le Nation Media Group, le plus grand groupe de presse indépendant en Afrique de l’Est et centrale et éditeur du principal quotidien Kenyan, le Daily Nation. Les revenus du groupe ont augmenté de près de 50% en cinq ans à 12 347 milliards de shillings kényans (soit 142 500 millions de dollars) en 2012.

Les journaux représentent l’essentiel de ces revenus. Parallèlement à cette trajectoire, le marché de la publicité kenyan a presque quintuplé au cours des cinq dernières années, au moment où on note une diminution des gains en Ouganda et en Tanzanie, selon Joe Otim, directeur de la Recherche et du Contrôle des Médias à la société d’études Ipsos.

«En Afrique de l’Est, l’annonceur est roi », a déclaré l’ancien journaliste kényan John Gatchie, qui travaille comme consultant régional dans le domaine des médias.

Puisqu’ils représentent la plus grande partie des revenus, les annonceurs– en particulier l’État et les entreprises publiques –exercent une grande influence, qui leur permet souvent de contrôler ce qui est publié ou non, de l’avis des journalistes et des analystes des médias. Les annonceurs font des offres de publicité lucratives pour améliorer la couverture ou menacer d’en arrêter la publicité lorsqu’un journal leur est critique.

Ce type de censure économique déguisée, généralement invisible au public, n’est pas un problème spécifique à l’Afrique de l’Est. En Afrique de l’Ouest, à l’exception du Nigéria, les journaux appartenant à l’État jouent les premiers rôles dans plupart des marchés, puisqu’ils reçoivent la part du lion des revenus publicitaires de l’État, a déclaré Sulemana Braimah, directeur adjoint de la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest, une fondation de défense de la liberté de la presse. En Afrique australe, la publicité est parfois utilisée par les politiciens pour décourager les couvertures médiatiques critiques, a déclaré Raymond Louw, ancien rédacteur en chef, éditeur et ancien défenseur de la liberté de la presse en Afrique du Sud. Et la question apparait dans d’autres régions du monde, peut-être de façon beaucoup plus dramatique comme en Turquie en 2013 lors des manifestations de la place Gezi à Istanbul. Là-bas, les propriétaires de médias sous la coupe du gouvernement, ont interdit la couverture des manifestations à leurs journalistes dont certains ont par la suite fait l’objet de licenciement par la volonté du gouvernement.

Ces pratiques existent aussi en Amérique Latine où pendant des décennies, on a eu beaucoup recours à la publicité gouvernementale comme un instrument servant à punir les critiques des médias ou une récompense pour soutenir les partisans. Un sondage mené en 2011 sur 1000 journalistes argentins, a révélé par exemple que, la dépendance de la publicité gouvernementale constituait le troisième défi le plus sérieux auquel la presse argentine est confrontée, après les bas salaires et le manque de professionnalisme. Les résultats du sondage montrent que 58% des personnes interrogées pensent que le journalisme dans le pays est « conditionné » et 72% pensent que les ministères offrant des services aux entreprises ont une influence sur les rédactions.


En Afrique de l’Est, les annonceurs sont une bénédiction mitigée, a déclaré Deodatus Balile, rédacteur en chef de l’hebdomadaire privé tanzanien Jamhuri. «Les annonceurs sont les principaux bailleurs de la presse et pourtant ils sont aussi les plus grandes menaces de la liberté de la presse », a-t-il déclaré.

Une nouvelle technique de censure des médias adoptée en Tanzanie c’est la stratégie de publicité générale qui consiste à faire des insertions publicitaires sur toute une page ne laissant aucun espace pour autre chose en première et dernière page, a déclaré John Mireny, directeur de Publications/Recherches du Conseil des Médias de Tanzanie, un organisme de régulation indépendant. Selon John Mireny, c’est exactement ce que le parti au pouvoir Chama Cha Mapinduzi (Parti de la Révolution) a fait de l’ensemble des journaux tanzaniens en 2010, en empêchant la couverture du meeting inaugural de la campagne du parti de l’opposition.

Selon Deodatus Balile, les revenus de la publicité en Tanzanie, représentent près de 85 pourcent des frais de fonctionnement d’un journal, ce qui laisse peu de marge pour les reportages virulents qui pourraient aliéner les clients. En dépit d’un taux de scolarisation relativement élevé, les niveaux de diffusion demeurent faibles, en partie parce que les lecteurs tanzaniens se partagent les journaux pour faire des économies.

Au Soudan du Sud pauvre, un pays qui a accédé à l’indépendance en 2011 après des décennies de guerre civile, les journaux sont en difficulté. « Le marché est étroit pour une mauvaise distribution », a déclaré Badru Mulumba, rédacteur en chef du New Times. « Avec ces mauvaises ventes, les annonceurs inspirent beaucoup de respect et sont accueillis avec des roses », a-t-il ajouté.

En 2012, la presse ougandaise était inondée d’articles alléguant des cas de corruption au cabinet du Premier ministre concernant un détournement de financements des bailleurs. « En tant que rédacteurs nous avons insisté sur la couverture de cette affaire en dépit de certaines objections », a déclaré Barbara Among, rédacteur en Chef du desk étranger du Daily Monitor, le principal quotidien indépendant d’Ouganda.

Mais il se trouve que le cabinet du Premier ministre qui administre cinq ministères, est aussi l’un des plus grands annonceurs en Ouganda. Selon la presse locale, beaucoup moins de cas de corruption ont été publiés après que le gouvernement a publié plusieurs annonces dans les journaux. «Maintenant avec le gros budget du cabinet du Premier ministre, il y a moins de révélations sur le scandale », a dit Don Wanyama, directeur de publication du Daily Monitor. « La presse aurait pu faire des investigations plus poussées sur la corruption dans ce département, mais la crainte du manque à gagner des revenus de la publicité a imposé le silence à tout le monde », a-t-il rajouté.

Le fait d’influencer la presse avec le pouvoir financier du placement des annonces n’est pas seulement une affaire du gouvernement. En septembre, une compagnie d’électricité qui a des liens indirects avec le gouvernement tanzanien a informé le quotidien privé le Raia Mwema (le bon citoyen) du raccordement illégal à son réseau électrique d’une compagnie de téléphonie mobile qui lui doit des milliards de shillings tanzaniens.

« Imaginez qu’un seul journal publie cette affaire de façon très vague sans citer le nom de la compagnie de téléphonie mobile », s’est demandé Mbaraka Islam, directeur de l’information dudit journal.

« Très peu de journaux peuvent faire des articles sur les compagnies de téléphonie mobile telles que Vodacom, Airtel, Tigo qui ont des capacités financières », a déclaré Deodatus Balile. « Si vous faites des articles critiques leur égard, elles saisissent les juridictions étatiques, obtiennent une injonction du tribunal et s’opposent à l’accès du public aux informations », a-t-il souligné.

« Nous sommes arrivés à un point où les éditeurs ont recours à ce que j’appelle des «publireportages» pour calmer les compagnies– de faux éditoriaux qui de façon invariable font les éloges de leurs annonceurs », a déclaré Deodatus Balile.

La même pression éditoriale existe chez les annonceurs en Ouganda. « Ils cherchent plus de visibilité éditoriale que ne le font les annonceurs du gouvernement », a déclaré Robert Kabushenga, directeur général du New Vision, principal quotidien pro-gouvernemental ougandais. « Parfois, ils exigent la suppression des articles négatifs ou la suspension d’annonces en guise de « représailles » contre la publicité négative. La menace réside dans le fait que nous dépendons de leur appui financier dans un marché de plus en plus étroit », a-t-il indiqué.

Il est devenu difficile pour la presse kényane de faire des articles sur certaines compagnies, telles que les banques et les compagnies de téléphonie mobile, par exemple, à cause des recettes qu’elles rapportent, d’après Charles Onyango-Obbo, directeur de la rédaction à la Nation Media Group. Selon la presse locale, en juillet, les distributeurs automatiques de l’Equity Bank sont tombés en panne pendant plusieurs jours mais seules les publications en ligne et les médias sociaux ont relaté cette affaire. « Je pense que la banque a pu de façon efficace limiter la publicité négative. Elle poste beaucoup de publicité et son patron est connu de beaucoup de dirigeants de médias. Ils jouent au golf ensemble », a déclaré Aggrey Mutambo du Daily Nation.

Parfois les informations sont aussi biaisées à cause de l’appui que l’on souhaite obtenir de la part des organisations non-gouvernementales et des Nations Unies. C’est particulièrement le cas au Soudan du Sud qui dépend beaucoup de l’ONU et des ONG dans son processus de reconstruction. « J’ai pu constater que les rédacteurs en chef qui ont bénéficié des annonces des organismes onusiens et des ONG demandent souvent aux journalistes de faire des couvertures médiatiques de leurs activités sous un angle positif », rapporte le journaliste indépendant du Soudan du Sud, Joseph Edward. « Cela semble moins concerner les organisations externes qui encouragent la couverture de leurs activités, plutôt que d’effectuer un reportage sous un angle positif en espérant un soutien financier à travers les annonces publicitaires et les subventions », a rajouté Joseph Edward.

L’autocensure survient aussi lorsque les politiciens et les hommes d’affaires possèdent ou investissent dans les médias, un sujet qui préoccupe particulièrement les médias kényans et du Soudan du Sud.

Généralement encensé par la communauté des médias pour son approche non-interventionniste éditoriale de la presse, le richissime Aga Khan, chef spirituel de la communauté Ismaïlienne forte d’une population de 15 millions d’individus, détient 47% des actions de la Nation Media Group. Trois journalistes du Daily Nation qui ont requis l’anonymat pour protéger leurs emplois, affirment que, par la suite, ses investissements dans le tourisme et la finance n’ont pratiquement jamais été critiqués par les médias en Afrique de l’Est. Cela semble plus être le reflet de l’engagement du personnel plutôt qu’une pression directe, mais c’est néanmoins de l’autocensure.

De même, l’ancien président kényan Daniel Arap Moi serait actionnaire majoritaire de la Standard Media Group, selon un rapport publié en janvier par Internews, l’organisation internationale de développement des médias. Selon le même rapport, le protégé de Moi, Uhuru Kenyatta, nouvellement élu président du Kenya, est le propriétaire du groupe de presse Mediamax qui publie le journal The People, de même que K24 Television et Kameme FM.

« Si vous suivez la Standard Media Group, vous ne trouverez pas de reportage négatif sur l’ancien Président Moi. Si vous suivez Mediamax, il en va de même pour les dirigeants actuels », a déclaré George Nyabuga, chargé de cours en journalisme à l’Université de Nairobi. Le Rédacteur en chef de la Standard Media Group, John Bundotich, et le directeur de l’information de Mediamax, Anderson Waweru, ont tous les deux réfuté ces affirmations.

D’après une étude indépendante menée par le journaliste du Soudan du Sud Godfrey Victor Bulla, huit des 11 journaux en circulation au Soudan du Sud appartiennent directement ou indirectement au gouvernement.


Les pressions commerciales sur les journalistes et les directeurs de publication ne se limitent pas au recrutement et au maintien des annonceurs. A l’instar de beaucoup de salles de rédaction dans les pays occidentaux, l’accent est de plus en plus sur la réduction des coûts et les profits– même les dépenses publicitaires sont en hausse dans certains pays comme le Kenya. D’après le Newspaper Association of America (Association des journaux d’Amérique), les recettes publicitaires des journaux ont chuté de 6% en 2012 aux États-Unis d’Amérique et devraient poursuivre leur déclin étant donné que les journaux sont de plus en plus dépendants des recettes des tirages. Ce n’est pas le cas au Kenya. Au cours du premier trimestre de 2012, 18 milliards de shillings kenyans (environ 212 millions de dollars américains) ont été injectés dans la publicité, selon la société d’études Ipsos Synovate, alors que 12 milliards de shillings Kenyans (environ 141 millions de dollars américains) ont été dépensés sur la même période en 2011.

Dans une présentation lors d’un forum des médias à Naivasha au Kenya, en octobre 2013, Harun Mwangi, l’administrateur délégué du Conseil kényan de régulation des médias, a déclaré que les salles de rédaction sont centrées de plus en plus sur les profits plutôt que d’assurer l’information. Cette situation est principalement attribuable au fait que la plupart des patrons de presse sont aussi de grands acteurs économiques, a déclaré Mwangi: « ils ne s’intéressent aux questions qui préoccupent le public dans les médias que lorsqu’elles génèrent des profits », a-t-il souligné.

Dans le but de réduire les coûts, le journalisme d’investigation a été arrêté et remplacé par des activités de relations publiques, consistant à fournir les « informations » aux journalistes, a déclaré Harun Mwangi. De plus en plus, les entreprises de presse encouragent leur personnel à acquérir des diplômes en administration des affaires plutôt qu’en journalisme, a-t-il ajouté, sur la base de son expérience de travail avec des rédacteurs en chef et journalistes kenyans au niveau du Conseil.

Selon Don Wanyama du Daily Monitor, les chefs d’entreprises de presse en Ouganda ont connu des pressions similaires, avec des rédacteurs en chef qui se voient assignés des objectifs commerciaux. Sur son blog personnel, Don Wanyama écrit que les rédacteurs en chef doivent maintenant aussi atteindre les objectifs de ventes et initier des projets « qui rapportent » avant d’ajouter que « ainsi, au-delà du fait de s’empêtrer dans la pression de produire des articles de qualité, les rédacteurs en chef doivent réfléchir sur des projets spéciaux qui rapporteront des recettes supplémentaires pour le journal ». Dans une interview accordée au CPJ, il donne l’exemple suivant: « une initiative d’éditorial tel qu’un article sur la santé, par exemple, sera supprimé au profit d’un sujet qui rapporte de l’argent, nous sommes donc contraints de couvrir des domaines lucratifs même s’il n’y a pas beaucoup d’intérêt public [pour le sujet] ».

La dispute entre les ambitions lucratives et le service de l’information a toujours existé, mais la tension est croissante, a déclaré Barbara Among d’Ouganda. « Je crains que nous n’abandonnions notre activité principale, le business éditorial pour nous focaliser sur les marges bénéficiaires. Cette situation affecte la qualité du journalisme », a-t-elle ajouté.

Alors que l’influence des entreprises dans les salles de rédaction est manifestement un phénomène mondial, les rédacteurs en chef et les analystes des médias pensent que le problème est particulièrement aigu en Afrique de l’Est. Selon John Mireny, du Conseil des médias tanzaniens, dans des économies de marché fortes et avancées avec des taux d’alphabétisation élevés, les annonceurs ont moins la mainmise sur l’indépendance du journal. Dans les économies émergentes, comme celles de l’Afrique de l’Est, avec une concurrence limitée et un taux d’alphabétisation et un tirage faibles, les rédacteurs en chef sont plus vulnérables à la pression extérieure.

Les petits éditeurs dans les petites économies sont les plus vulnérables. Selon James Tumusiime, rédacteur en chef de l’hebdomadaire indépendant The Observer, « la situation est particulièrement difficile en Ouganda, car c’est une petite économie, avec seulement une poignée d’annonceurs dont on ne veut pas perdre les plus importants. C’est encore plus difficile pour les journaux à petit tirage dont certaines entreprises annonceurs se retirent facilement car ne pouvant se passer des plus grands quotidiens ».

Selon Christopher Kayumba, chargé de cours et Expert des médias de l’Université nationale du Rwanda, la presse rwandaise ne pourra jamais être entièrement indépendante, parce qu’elle dépend d’une poignée d’annonceurs parmi lesquels le gouvernement dont elle subit le plus d’influence.


Qui sont ces annonceurs en Afrique de l’Est qui exercent cette influence éditoriale sur la presse?

Dans toute la région, l’État a toujours le plus d’influence, en dépit du nombre croissant d’entreprises qui achètent les espaces publicitaires. Même là, les entreprises kényanes qui font de la publicité massive sont souvent financièrement liées au gouvernement, a déclaré le consultant John Gatchie.

Le gouvernement kenyan est actionnaire majoritaire, par exemple, à la Kenya Commercial Bank et dans les filiales kényanes de la Standard Chartered Bank et Barclays Bank. Il est aussi l’un des actionnaires majoritaires de Safaricom, la principale entreprise de télécommunications du pays.

Ensuite, il y a la publicité directe faite par le gouvernement. Selon le président de la Commission kényane de la justice administrative, Otiende Amollo, le gouvernement a dépensé environ 26 millions de Shillings Kényans (297 500 de dollars américains) en seulement deux semaines pour la diffusion dans la presse de messages de félicitations à l’endroit des politiciens lors des élections présidentielle et législatives tenues en mars 2013.

Au Rwanda, environ 85% à 90% des annonces viennent du secteur privé, a déclaré Robert Mugabe, rédacteur en chef du site d’information en ligne Great Lakes Voice. «Si vous voulez attirer les annonces, c’est simple. Évitez de contrarier le gouvernement », a-t-il ajouté.

Selon Deodatus Balile, l’argent du gouvernement représente environ 60% des recettes de la publicité des journaux en Tanzanie. Ces recettes considérables sont souvent destinées aux publications qui soutiennent le gouvernement, ce qui défavorise les publications indépendantes, a déclaré John Mireny.

L’instinct de survie de l’élite politique dominante en Afrique de l’Est, où les partis de l’opposition gardent une influence marginale, permet aux annonceurs gouvernementaux de mettre la pression sur la presse. Au Kenya, comme ailleurs, le parti au pouvoir exerce un contrôle quasi monopolistique sur les annonces publicitaires dans les médias, a déclaré William Oloo Janak, président de l’Association des correspondants accrédités du Kenya.

La publicité gouvernementale est tellement omniprésente que certaines publications sont uniquement lancées dans but de profiter du flux d’argent. D’après Deodatus Balile, sur les 767 journaux autorisés en Tanzanie, à peu près 16 quotidiens sont actifs. « Lors des élections locales, on a noté une apparition soudaine de 450 publications dans les kiosques. Lors d’une élection présidentielle, on peut même voir tous les 767 journaux se disputer les annonces du gouvernement », a-t-il ajouté.

De la même manière au Kenya, les publications temporaires et bénéficiant entièrement de l’appui de l’État ont une courte durée de vie mais font un bon chiffre d’affaires au niveau du tirage, selon Charles Omondi, rédacteur en chef du Daily Nation, un quotidien d’informations en ligne basé à Nairobi. Sous la direction autoritaire de Moi, a-t-il ajouté, toute la publicité gouvernementale était effectuée via le quotidien pro-gouvernemental, le Kenya Times, dont les autorités étatiques devaient acheter un exemplaire. Mais « avec la chute de Moi, Kenya Times est devenu « Kenya Sometimes », avec un tirage irrégulier, avant de faire faillite », a-t-il complété.

Certains gouvernements en Afrique de l’Est font souvent référence au grand nombre de publications comme preuve de la liberté de la presse dans leurs pays. Dans une allocution publique qu’il a prononcée en janvier 2013, le président tanzanien Jakaya Kikwete s’est vanté des 763 journaux et publications autorisés dans son pays, le plus grand nombre en Afrique, selon des médias. Mais la pléthore de journaux n’est pas synonyme de la liberté de presse, surtout lorsque la majorité fonctionne comme des porte-paroles du gouvernement.

Lorsque la majorité des médias a décidé d’imposer une interdiction de toute publicité du parti au pouvoir en Tanzanie lors des élections générales de 2010, le quotidien swahili, Mwananchi, ou Le citoyen, n’avait pas suivi le mot d’ordre, a déclaré Mireny, du Conseil des médias tanzaniens. « Les ventes dans la période postélectorale ont démontré que les lecteurs ne sont pas dupes », a-t-il rajouté. « Maintes et maintes fois, les journaux qui ont échoué au test d’impartialité durant les campagnes et après ont vu leurs ventes chuter », a-t-il souligné. Les journaux pro-gouvernementaux comme Uhuru et Habari Leo, par exemple, ont pu survivre grâce à la publicité gouvernementale et non pas par les ventes, a déclaré Islam, directeur de l’information du Raia Mwema.

L’ancien hebdomadaire très critique, MwanaHalisi, a été privé des revenus de la publicité octroyés par le gouvernement pour sa position critique, a déclaré le rédacteur en chef Saed Kubenea. Mais la brave et unique voix du journal a attiré un large public, son tirage à un moment donné a atteint 100.000 exemplaires, le plus important en Tanzanie, selon la presse locale. C’est peut être l’unique exemple dans la région de la survie d’un journal en grande partie due à son tirage. « Je pense que nous étions l’un des rares journaux en Afrique de l’Est à survivre par les ventes à elles seules », a avoué Saed Kubenea. Le gouvernement était tellement contrarié par le succès de ses critiques que le journal fit l’objet d’accusation de sédition et frappé d’interdiction pour une période indéterminée en juillet 2012.


Enfin, les médias d’information en ligne et les réseaux sociaux peuvent constituer une alternative aux journaux. Au Kenya, en particulier, la popularité des réseaux sociaux utilisés pour la diffusion des informations de dernière minute et des informations critiques a été prouvée lors de l’attentat terroriste du centre commercial Westgate de Nairobi en septembre 2013.

« Les récents évènements du Kenya me renforcent davantage dans ma conviction que les plateformes en ligne telles qu’utilisées par les citoyens ordinaires sont de plus en plus critiques des affaires publiques beaucoup plus que la presse grand public », a déclaré Nanjira Sambuli, mathématicien et expert des médias.

Avec les lenteurs observées dans le développement d’Internet, l’on ne sait pas exactement comment la presse en ligne pourra générer des revenus. Selon l’Union internationale des télécommunications, l’utilisation d’Internet en Afrique de l’Est –à l’exception du Soudan du Sud, dont les statistiques ne sont pas encore disponibles– a augmenté au total de 10% au cours des cinq dernières années.

Les journaux vont encore continuer à dominer dans la région pendant un certain temps. L’espoir repose sur le fait que les propriétaires de médias dans toute l’Afrique de l’Est aient accepté que la longévité de leurs journaux ne dépende pas autant des profits de la publicité que des politiques éditoriales professionnelles qui garantiront la loyauté des lecteurs.

Tom Rhodes est représentant Afrique de l’Est pour le CPJ, basé à Nairobi. Il est membre fondateur du premier journal indépendant du Soudan du Sud.


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