Attaques contre la presse en 2010: L’Ouganda

Principaux Développements
• Un projet de loi sur la surveillance électronique promulgué; celui-ci peut dissuader les reportages.
• La Cour constitutionnelle aboli la disposition du code pénal réprimant la sédition, véritable arme du gouvernement contre ces détracteurs dans la presse.


Statistique Cle
5 journalistes agressés lors d’affrontements entre des forces de sécurité et des membres du royaume du Buganda.

Les autorités ougandaises ont harcelé et obstrué des journalistes faisant des reportages sur deux événements qui ont secoué le pays: un incendie qui a détruit un lieu vénéré du royaume du Buganda et deux attentats terroristes dans la capitale Kampala. La presse a remporté une victoire juridique importante lorsque la Cour constitutionnelle a abrogé une loi pénale sur la sédition qui avait été utilisée pour museler les journalistes critiques envers le gouvernement. Mais de nouvelles menaces à la liberté de presse on jailli à travers une loi radicale sur la surveillance qui pourrait dissuader les reportages, et un projet de loi qui pourrait élargir les pouvoirs de réglementation sur les journaux. Dans la foulée, des responsables et des militants du parti au pouvoir ont agressé des journalistes qui assuraient la couverture des activités des candidats de l’opposition lors d’un scrutin local, un mauvais présage, alors que le pays se préparait pour les élections présidentielles et parlementaires de 2011.

ATTAQUES CONTRE LA PRESSE EN 2010
Préface
Introduction
Analyse sur L’Internet
Analyse Afrique
Afrique du Sud
Angola
Cameroun
Ethiopie
Nigeria
RDC
Rwanda
Somalie
Ouganda
Zimbabwe
En bref

A l’approche des élections, les tensions entre le gouvernement du président Yoweri Museveni, qui cherche sa réélection pour un nouveau mandat de 5 ans qui le conduirait à totaliser 30 ans de pouvoir, et le royaume coutumiers des Baganda, le plus grand groupe ethnique en Ouganda, ont monté d’un cran. En effet, l’administration de Museveni a permis aux royaumes traditionnels d’exercer une certaine autorité sur des questions culturelles, mais l’influence politique croissante des dirigeants de ce royaume a rendu ses relations avec le gouvernement plus tendues ces dernières années. En mars par exemple, la violence a éclaté suivant un incendie d’origine inconnue qui a détruit les tombeaux des rois traditionnels Baganda, un site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO à Kasubi, près de la capitale, Kampala. Des émeutes ont suivi lorsque des manifestants Baganda ont exigé une enquête approfondie sur l’incendie, selon la presse locale. Au moins trois personnes sont mortes dans les affrontements où cinq journalistes ont été blessés, après avoir été agressés par des manifestants ou des forces de sécurité, selon des interviews du CPJ. Moses Lemisa, qui a couvert les manifestations pour le quotidien pro gouvernemental vernaculaire Bukedde, a déclaré qu’il a été blessé à la main et a perdu son appareil photo après avoir été pris pour cible par des agents de sécurité et puis des manifestants. Le président Museveni a ordonné aux agences de sécurité de surveiller la médiatisation de l’incident pour détecter toute spéculation ou commentaire suggérant une implication du gouvernement dans l’incendie. «J’ai instruit les forces de sécurité de scruter tous les enregistrements, radios et médias parce que cette [rumeur] est incroyable», a-t-il dit lors d’une conférence de presse au palais présidentiel d’Entebbe. Aucun harcèlement n’a été signalé par la suite.

C’était la deuxième fois en deux ans que des affrontements opposaient le gouvernement et les Baganda. Plusieurs journalistes ont été agressés au cours d’émeutes qui ont éclaté en 2009 lorsque les forces de l’ordre ont empêché le roi coutumier, Ronald Muwenda Mutebi, de se rendre à un rassemblement au nord de Kampala. Le gouvernement a réagi aux émeutes de 2009 en fermant quatre stations de radio, y compris les deux stations de premier plan appartenant au royaume du Buganda, Central Broadcasting Service (CBS). Le Conseil de l’audiovisuel, un organisme public de régulation sous contrôle gouvernemental, a déclaré vaguement que les stations incitaient à la violence, mais n’a jamais identifié un contenu spécifique répréhensible. Les autres stations ont repris leurs émissions dans les mois qui ont suivi, mais CBS est resté fermé jusqu’en octobre 2010. Une action en justice déposée par CBS, qui était encore pendante à la fin de l’année, a soutenu que le gouvernement a agi illégalement et a exigé une compensation. Une réplique du gouvernement, qui a rejeté sur CBS la responsabilité de la perte de vies humaines lors des émeutes, a été rejetée par la Haute Cour de l’Ouganda.

La violence meurtrière a encore frappé Kampala en juillet lorsque des attentats à la bombe ont secoué un club et un restaurant, tuant plus de 70 personnes qui s’étaient rassemblées pour regarder la finale du Mondial de football. Stephen Tinkamanyire, présentateur à temps partiel de la station de radio Vision Voice, était parmi les victimes. Al-Shebab, un groupe extrémiste islamiste basé en Somalie, a revendiqué ces attentats, apparemment en représailles pour le soutien militaire de l’Ouganda au gouvernement central de Mogadiscio. Les Somaliens résidant en Ouganda ont ressenti une réaction immédiate. Au moins 20 Somaliens ont été raflés par la suite, selon le quotidien ougandais New Vision. Bille Abdullahi, un ancien journaliste de la station indépendante somalienne de premier plan, Radio Shabelle, a été arrêté par les forces de lutte contre le terrorisme en juillet et placé en détention à la prison de Luzira à Kampala jusqu’en mi-septembre, selon les journalistes somaliens en exil. Cependant, aucune accusation n’a été formulée contre Abdullahi.

Les autorités ont cherché à limiter les reportages au sujet de l’enquête de la police sur les attentats. Une injonction émise en août par un juge du tribunal de Nakawa a interdit aux médias de publier des informations sur les enquêtes. L’injonction a été largement ignorée par les médias, a déclaré Barbara Kaija, rédactrice en chef de New Vision. La police a accusé Timothy Kalyegira, rédacteur en chef du journal en ligne Uganda Record, de sédition après qu’il a publié un commentaire alléguant que le gouvernement ougandais pourrait être impliqué dans les attentats à la bombe. La police a placé Kalyegira en détention pendant plusieurs heures, confisqué son ordinateur portable, son téléphone portable et son passeport, et exigé qu’il révèle les mots de passe de ses comptes de messagerie électronique, a déclaré le journaliste au CPJ.

Quelques jours seulement après l’attentat, le Parlement a adopté la loi sur l’Interception des Communications, qui permet aux agents de sécurité de mettre sur écoute les conversations téléphoniques et de surveiller les courriels à chaque fois qu’ils soupçonnent une potentielle atteinte à la sécurité. « La loi transforme l’Ouganda en Big Brother House », a écrit le chroniqueur Isaac Mufumba dans le bimensuel privé The Independent. « Big Brother écoute vos conversations avec votre femme, votre ami ou votre collègue et lit les texto et courriels en provenance de votre conjoint et vos amis ». Cette mesure, que le président a rapidement approuvé, obligerait les utilisateurs de téléphone cellulaire à enregistrer les cartes SIM et créerait un centre gouvernemental pour surveiller l’utilisation du téléphone mobile.

Cependant, la presse a remporté une victoire juridique importante en août lorsque la Cour constitutionnelle de l’Ouganda a déclaré que la loi pénale sur la sédition est inconstitutionnelle. Le tribunal a statué sur une requête déposée par l’Institut des médias d’Afrique orientale et Andrew Mwenda, un lauréat du Prix international du CPJ pour la liberté de la presse en 2008, qui avait été ciblé avec 17 chefs d’accusation de sédition au fil des ans. Le panel de cinq juges, dirigé par le vice juge en chef Leticia Mukasa Kikonyogo, à jugé à l’unanimité que cette loi sur la sédition contrevenait à l’article 29 de la Constitution ougandaise, qui garantit le droit à la liberté d’expression, l’avocat de Mwenda, James Nangwala, a déclaré au CPJ. Le gouvernement envisageait de faire appel de cette décision devant la Cour suprême, la plus haute juridiction en Ouganda. Si elle est confirmée, cette a décision lèverait un nuage juridique qui plane sur plus d’une douzaine d’autres journalistes qui ont été accusés de sédition ces dernières années (y compris, plus récemment, Kalyegira d’Uganda Record). Les poursuites pour des affaires de sédition ont été suspendues pendant que cette contestation juridique était pendante.

Mwenda, fondateur de The Independent, n’a pas convaincu la Cour constitutionnelle pour faire invalider l’accusation d’ « incitation au sectarisme » en vertu du code pénal de l’Ouganda. Faisant face à huit chefs d’accusation d’ « incitation au sectarisme », le journaliste envisageait de faire appel. Son avocat, Nangwala, a déclaré que cette la loi est si vague dans sa formulation qu’elle peut être utilisée pour museler les journalistes critiques. « Si un journaliste écrit sur un groupe ethnique marginalisé, par exemple, cela peut être considéré comme une incitation au sectarisme », a-t-il dit.

Les journalistes ont fait face à une nouvelle bataille juridique en mars, lorsque le gouvernement a présenté des projets de loi visant à amender la loi sur la presse et les journalistes ougandais de 1995. Comme initialement proposé, l’amendement exigerait aux journaux d’obtenir chaque année une licence délivrée par un organisme de régulation appelé le Conseil des médias. En vertu de ce projet de loi, le Conseil pourrait refuser d’octroyer des licences à des entreprises de presse sur la base de critères aussi vagues que les « valeurs sociales, culturelles et économiques du journal» et la «preuve de l’existence de moyens techniques adéquats ». Ce projet de loi imposerait également des amendes et suspensions contre les maisons de presse qui «publient des informations portant atteinte à la sécurité nationale, la stabilité et l’unité » et des informations qui « équivaudraient à un sabotage économique ». Lors de la journée mondiale de la liberté de la presse célébrée le 3 mai, des dizaines de journalistes ont défilé à Kampala pour dénoncer ce projet de loi, selon la presse locale. La ministre ougandaise de l’Information, Kabakumba Masiko, a déclaré au CPJ en septembre que le gouvernement était prêt à un compromis sur le texte proposé et souligné qu’il consulterait les représentants des médias avant de présenter le projet de loi officiel au Parlement. La clause vague de ce projet de loi sur le « sabotage économique » pourrait entraver davantage les reportages sur les réserves de pétrole récemment découvertes dans la partie occidentale du pays. Des journalistes indépendants ont fait état de difficultés continues dans l’obtention de documents et de renseignements relatifs à l’exploration du pétrole.

A l’approche des élections présidentielles et législatives de 2011, les journalistes couvrant les activités des candidats de l’opposition ont été ciblés par des agents du Mouvement de la résistance nationale (NRM) au pouvoir. Le Plan d’action Kalangala, une milice qui, selon des journalistes, a des liens avec le gouvernement, a enlevé et agressé le journaliste Moses Kasibante pendant le scrutin parlementaire à mi-mandat à Mukono Nord en mai, a dit au CPJ le journaliste. Kasibante, rédacteur en chef de Ggwanga, un hebdomadaire en langue luganda, était considéré comme un partisan du candidat du parti d’opposition. Kasibante a dit que des membres de la milice l’ont enlevé au bureau de vote et l’ont emmené dans une maison à Mukona où ils l’ont interrogé et bastonné pendant deux heures. Le CPJ a documenté sept autres cas dans lesquels des responsables ou des militants du NRM ont agressé des journalistes couvrant les activités des partis d’opposition.

Un journaliste a été tué en relation directe avec son travail. En septembre, des chauffeurs de taxi motocyclettes ont battu à mort le journaliste indépendant Paul Kiggundu, ont dit des journalistes locaux au CPJ. Kiggundu a été agressé alors qu’il filmait les chauffeurs pendant qu’ils démolissaient une maison dans une ville à l’extérieur de Kalisizo, au sud-ouest de l’Ouganda. La maison appartenait à un autre chauffeur qui était accusé de meurtre et de vol. Cinq suspects avaient été arrêtés à la fin de l’année.